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Lettre de Benjamin Rosoux
Benjamin Rosoux prend la plume
Reçu ce jour par un ami qui nous veut du bien
mercredi 14 janvier 2009
Benjamin Rosoux, inculpé pour "association de malfaiteur dans une entreprise à visée terroriste" dans l’affaire de Tarnac, a été libéré et mis sous contrôle judiciaire il y a plus ou moins trois semaines. Il prend la plume...
*LETTRE DE BENJAMIN ROSOUX*
Salut à tous,
C’est après trois semaines de décompression et un temps de réflexion,de
lecture intensive de tout ce qui s’est dit sur cette affaire pendant que
nous étions au trou, que j’entame l’écriture de cette lettre.
Je suis sorti de Fresnes voilà un peu plus de trois semaines maintenant,
un peu déboussolé. Je ne m’attendais plus à être libéré aussi vite
devant ce qui semblait Ítre un traquenard si bien orchestré.
Retrouver l’air du dehors et l’horizon du monde ont bien sûr été un
grand soulagement, on s’habitue si vite à voir son existence bornée par
des murs et des grilles, qu’il semble que ça fait des siècles quand bien
même on ne fait au fond que 2 ou 3 semaines. Je remercie du fond du
coeur tous ceux qui se sont démenés pour nous sortir de là. Je suis sûr
que malgré tout l’arbitraire qui entoure les décisions de justice,cette
pression nourrie par les comités, les parents, amis et tous ceux qui ont
senti à raison que cette affaire les concernait au plus près a eu un
effet conséquent. J’aurais aimé pouvoir le faire d’une seule voix avec
mes camarades co-inculpés mais comme vous le savez il nous est interdit
de rentrer en contact d’une quelconque manière sous peine notamment de
retourner en prison.
Mais je suis hanté d’une certitude : cette libération relève d’une
"chance" inespérée, chance qui remonte à loin, celle d’une part d’être
né blanc, d’avoir eu l’opportunité d’être diplômé, d’avoir des parents
et des amis issus de cercles "privilégiés" dont la mobilisation a sans
nul doute plus de chance d’être entendue que si j’étais né ailleurs et
dans un autre milieu. Je suis hanté bien sûr par le fait que deux de mes
amis et camarades soient toujours incarcérés pour des motifs aussi
rocambolesques, mais aussi par la pensée que des centaines d’autres
personnes croisées notamment au cours de ma courte détention n’ont
jamais eu cette "chance" et pour cause. Les prisons françaises ont
englouti au cours des dernières années toute une frange de la jeunesse
de ce pays, cette frange jugée inassimilable, sans cesse harcelée,
toujours "déjà condamnée" et qui refuse toujours de rentrer dans les
rangs étouffoirs de cette société. Un fait saute aux yeux quand on
fréquente les cours de prison, une très claire majorité de détenus est
composée par des jeunes des quartiers populaires, dont certains ont été
abonnés aux séjours en prison. On remarque aussi le nombre effarant de
personnes détenues, pour des périodes souvent très longues, sous le
régime de la détention provisoire, régime dit "exceptionnel". 6 mois, 9
mois, 1 an, 2 ans, 3 ans, sans procès et bien souvent sans preuve
tangible. C’est qu’il est sans doute plus compliqué d’avoir des
"témoignages de moralité", des garanties de représentation recevables
quant on vient de Villiers-le-Bel, Aubervilliers ou Bagneux, quand vos
parents sont considérés comme étrangers, qu’ils ne maîtrisent pas la
langue des magistrats et des media ou quand ils ne justifient pas d’une
activitÈ professionnelle stable et surtout reconnue.
Pas de misérabilisme toutefois, la solidarité se forge aussi derrière
les murs des prisons, la politique pénale de ce gouvernement est en
train de fabriquer une bombe ‡ retardement. Plus on bourrera jusqu’à la
gueule les geôles de ce pays, plus des destins vont s’y croiser et
dresser des ponts entre tous ces milieux si savamment séparés à
l’extérieur. Le rapprochement entre les traitements politiques,
policiers et médiatiques (cette triade tend à devenir une expression
consacrée, peut-être faudrait-il penser à les fusionner officiellement
!), de l’affaire de Tarnac et celle de Villiers-Le-Bel l’année dernière
est pertinente ‡ plus d’un titre...
Novembre 2005 (Clichy sous Bois), CPE, élection présidentielle,
Villiers-le-Bel, LRU, ... deux parties de la jeunesse que tout a priori
oppose, nourrissent conjointement la paranoïa du pouvoir.
La réponse ne se fait pas attendre et prend les mêmes traits. D’un côté
"lutte contre le règne des bandes" pour justifier la répression dans les
quartiers après les émeutes, de l’autre, fabrication de toutes pièces
d’une "mouvance anarcho-autonome", de "groupuscules d’ultra-gauche",
comme repoussoirs à la rÈvolte diffuse qui essaime au fil des mouvements
de la jeunesse étudiante ou "précaire". Dans les deux cas, une politique
de communication de longue haleine pour dessiner les contours de
"l’ennemi intérieur", qui débouche bruyamment sur des opérations coup de
poing sur-médiatisées. Démonstrations de force démesurées, curées
médiatiques, embastillements purs et simples. Faut-il le rappeler, outre
les inculpés et incarcérés multiples de novembre 2005, cinq personnes
sont toujours incarcérées après le coup de filet de Villiers-le-Bel et
attendent un procès qui ne vient pas, faute de preuves. Aujourd’hui
c’est notre tour, mais la chasse aux dits "anarcho-autonomes" est
ouverte depuis plus d’un an, six personnes au moins ont déjà été
interpellées et entendues devant les juridictions anti-terroristes
depuis décembre 2007 pour des faits ou des suspicions qui n’avaient
jamais relevé d’un tel régime juridique jusque là. L’étau se resserre et
tous les coups semblent désormais permis. Il a déjà été développé
largement dans les communiqués des comités de soutien à quel point le
recours aux outils de l’anti-terrorisme représente un glissement
significatif des procédés de gouvernement et de la "gestion" de la
contestation. Des scénarii déjà vus dans plusieurs pays au cours des
dernières années (USA, Royaume-Uni, Allemagne, Italie...) débarquent
avec fracas en France et signent l’entrée dans un régime où l’exception
devient la règle. Ces procédures n’ont la plupart du temps rien à voir
avec le "terrorisme" et ce quelle que soit la définition qu’on en donne,
elle répondent à la logique millénaire : "en réprimer un pour en
apeurer cent". En d’autres temps on en aurait pendu "quelques-uns" à
l’entrée de la ville, pour l’exemple.
Dans notre cas, il est très vite apparu que "l’affaire des sabotages de
la SNCF" n’Ètait qu’un prétexte opportun pour déployer au grand jour une
opération de communication et de "neutralisation préventive" prévue de
longue date (depuis l’arrivée de MAM au ministère de l’intérieur). La
rapidité de la mise en branle de "l’opération Taïga" et l’absence quasi
totale d’éléments matériels au dossier, même après les perquisitions et
les interrogatoires croisés, dévoile très vite à qui n’est pas occupé à
hurler avec les loups, la grossièreté du montage policier. Il aura
pourtant été fait de sévères efforts d’assaisonnement de cette histoire
un peu fadasse, un "groupuscule en rupture de ban et s’adonnant à la
clandestinité", un "chef incontesté", son "bras droit", ses
"lieutenants", des "relations amicales" ménagées dans le village par
"pure stratégie". Mais rien n’y fait les gens croient définitivement et
heureusement plus "à ce qu’ils vivent qu’à ce qu’ils voient à la télé".
Une fois répondu pour chacun à la question de sa participation ou non
aux "actes de d"gradation" sur les caténaires de la SNCF, reste cet
immense gloubi-boulga qu’est l’accusation de "association de malfaiteurs
en lien avec une entreprise terroriste". C’est d’ailleurs le seul chef
d’accusation qui pèse sur la plupart des inculpés dont moi-même.
Ce chef d’inculpation repose sur un faisceau d’informations et
d’hypothèses disparates, réunies par les services de renseignement, mais
que seule une prose policière pour le moins imaginative permet
d’articuler entre elles d’une manière aussi unilatérale. Les liens
d’amitié, politiques chacun à leur manière, deviennent sans l’ombre d’un
doute des affiliations organisationnelles voire hiérarchiques. On fait
d’une série de rencontres, de la participation de quelques uns à des
manifestations, de la présence de certains autres relevée au cours des
mouvements sociaux qui ont émaillé les dernières années, les présages de
la raison d’être strictement "politique" (au sens le plus classique et
plat du terme) d’un "groupeª identifiable et isolable comme "celluleª
(cancéreuse ?). Cela est une contre vérité absolue et détermine un
certain nombre de contre-sens vis à vis de ce dont nous avons été
diversement porteurs au fil des années. Le délit "d’association" permet
d’englober d’un seul coup l’entièreté de l’existence des personnes
visées et tout peut y devenir un élément à charge : lectures, langues
parlées, savoir-faire, relations à l’étranger, mobilité, absence de
téléphone portable, rupture avec son "plan de carrière" oo avec son
extraction sociale, vie amoureuse et j’en passe.
L’utilisation de ces outils "antiterroristes" n’est finalement rien
d’autre que l’indice de l’agressivité propre à tout pouvoir qui se sait
de toutes parts menacé. Il ne s’agit pas tant de s’en indigner. Il
s’agit en tout cas de ne pas, ou plus, être dupe de cette opération de
police politique. Elle n’est que la tentative, des tenants du pouvoir,
de communiquer au "corps social" leur propre paranoïa, qui, elle, n’est
peut-être pas totalement sans fondement. On parle beaucoup autour de
cette affaire de l’essai intitulé "L’insurrection qui vient" et tout le
monde y va de son hypothèse pour dire QUI est derrière cette signature
qu’est le "comité invisible".
Cette question n’est intéressante que d’un point de vue strictement
policier. Le choix éditorial d’anonymat qui a été fait doit être
entendu, à mon avis, non comme une particulière paranoïa des auteurs
(même si elle se trouverait aujourd’hui cent fois justifiée) mais par
l’attachement à une parole essentiellement collective. Non pas la parole
d’un collectif d’auteurs qu’on pourrait dénombrer, mais une parole qui
s’est forgée dans les aléas d’un mouvement où la pensée ne saurait plus
être attribuée à tel ou tel en tant qu’auteur. Ce livre suscite beaucoup
de désaccords, voire de réprobation y compris parmi nous qui avons
pourtant fait l’effort de le lire et le comprendre. Il me semble que
c’est l’objet même de l’écriture politique : mettre ce qui demande a
être débattu sans délai au centre, le rendre incontournable, quitte à
être cru et sans nuance. Tous ceux qui, par ailleurs, prétendent savoir
QUI est l’auteur de ce livre mentent purement et simplement ou prennent
leur hypothèse pour la réalité.
Les "lectures" récentes de ce livre, notamment celle de la police et de
quelques criminologues de salon posent à beaucoup la question de la
"radicalité". Cette "radicalité" nous est renvoyée à nous comme trait
d’identité, voir comme chef d’inculpation qui ne dit pas son nom. Je ne
me sens pas particulièrement radical, au sens d’être prêt à accorder les
constats, les pensées et les actes (ce que plus personne ne fait
malheureusement et depuis longtemps). Par contre la situation est
radicale et l’est de plus en plus. Elle détermine des mouvements de
radicalisation diffus, qui ne doivent rien à quelque groupuscule que ce
soit. Chaque jour dans mon activité d’Èpicier notamment ou quand je sers
au bistrot, ou bien encore quand j’étais en prison, je discute, j’écoute
ce qui se dit, se pense, se ressent, et je me sens parfois bien modéré
face à la colère qui monte un peu partout. Ce gouvernement a sans doute
raison d’avoir peur que la situation sociale lui échappe, mais nous ne
servirons pas sa campagne de terreur préventive, car le vent tourne
déjà. Il vient de Méditerranée.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, de doutes à lever, de
manipulations à déjouer, mais tout ça ne fait que commencer. Ainsi ma
position est en phase avec celle des comités de soutien qui fleurissent
un peu partout : abandon des charges de "entreprise terroriste" et
"d’association de malfaiteurs", libération immédiate de Julien et Yldune
et de tous ceux et celles qui sont incarcérés à ce titre, pour commencer...
Viendra le moment où on devra bien nous rendre des comptes pour le
préjudice énorme qu’on nous a fait subir, à nous, à Tarnac, mais aussi
pour ce qui n’est qu’une provocation supplémentaire à l’encontre de tout
ce qui ne se résigne pas au désastre en cours.
Benjamin, épicier-terroriste.